Josette Nguebou Toukam : Discrète, jusqu'à la mort
[ Yaoundé - Cameroun ] ( 27/04/2005) Xavier Luc Deutchoua
Décédée le 14 avril dernier, la première camerounaise agrégée de droit sera inhumée ce samedi à Bapa.Licencié en droit en 1979,Doctorat de 3è cycle.Doctorat d'Etat en 1995. Chargé de cours à l'université de Yaoundé de 1990 à 1998, puis Maître des conférences En 1997, elle est la première camerounaise à atteindre la cime de sa discipline en décrochant l'agrégation Cames. Elle avait la sérénité des forces tranquilles. Ce samedi 30 avril, une procession d'universitaires, de cop's et de princesses accompagneront Mme Ngeubou Toukam à Bapa pour un sommeil sans fin.
Enseigner rime avec discuter, communiquer, transmettre des connaissances. Josette Nguebou pratiquait cet art à fond. Sortie des amphi, c'était le silence, rattrapée qu’elle était régulièrement par son fond discret, secret. En avril 2004, une consoeur résolut de l'offrir en modèle de réussite intellectuelle à la gent féminine, en rédigeant son portrait. «Je ne vois pas ce que je fais d'extraordinaire pour mériter un portrait dans votre organe de presse», s'entendit-elle répondre, après une semaine passée à résister aux assauts répétés de notre consoeur. Il fallut l'intervention d'un de ses jeunes collègues, ami de la presse, pour la décider à se laisser découvrir. Mais ce fut pour refermer rapidement sa cuirasse à la question la plus anodine, sur son parcours universitaire.
Pour en savoir plus, détour donc sur quelques éléments de modernité comme internet et, surtout, un coup d'oeil sur un faire-part en circulation, depuis le décès de la vice-doyenne de la faculté des sciences juridiques et politiques, chargée de la Programmation et du suivi des affaires académiques. Josette Toukam, épouse Nguebou a rendu l'âme le 14 avril dernier, à l'hôpital de la Cnps de Yaoundé, des suites de maladie. Joint au téléphone, Barnabé Dongho, un proche de la défunte refuse de révéler de quoi elle souffrait
Josette Toukam naît à Dschang, dans la Menoua, le 13 septembre 1956 de Jean Gustave Komnang et de Marthe Nguemnang. Son enfance a dû être studieuse. A 19 ans; on la retrouve à Yaoundé, nanti d'un baccalauréat. Rien ne la prédispose alors au destin qui sera le sien.
Dans l'imaginaire des parents d'élèves de l'époque, il n'y a de bonnes études que générales. L'enseignement technique est considéré comme un raccourci pour les élèves pressés par la famine et la pauvreté des parents, et donc forcés d'entrer rapidement dans le monde de l'emploi. Ou alors le refuge des enfants peu doués pour les études Son diplôme en Techniques administratives la destine à un poste de cadre moyen dans quelques entreprises du privé ou, l'enseignement. La jeune Toukam refuse cette trajectoire et choisit le chemin de l'Université de Yaoundé, de la faculté de droit et des sciences économiques.
Compétence
Les choses s'accélèrent. Les diplômes alternent avec les postes. Licence en droit en 1979. Chargé de travaux dirigés en 1980. Doctorat de 3è cycle trois ans plus tard (mention Très bien) en 1982. Assistante au Centre universitaire de Douala, à l'Ecole supérieure des sciences économiques et à l'Ecole normale supérieure d'enseignement technique à partir de 1983. Doctorat d'Etat en 1995 (mention Très honorable). Chargé de cours à l'université de Yaoundé de 1990 à 1998, puis Maître des conférences En 1997, elle est la première camerounaise à atteindre la cime de sa discipline en décrochant l'agrégation Cames au rang de major, en même temps que d'illustres enseignants comme Lekene Donfack, l'actuel ministre du Développement urbain et de l'Habitat, et Séraphin Magloire Fouda, doyen de la faculté des sciences économiques et de gestion.
Quand on a un tel profil, atterrir au poste de vice doyen, dans une faculté de machos n'est pas une prime à la féminité. Les universitaires s'inclinent devant la compétence de leur collègue décédée. Etienne Kenfack, de l'université de Yaoundé II à Soa: «Mme Nguebou a les caractéristiques de quelqu'un de disponible. Le terme maternel peut prêter à confusion, mais, elle a le souci de mettre la science à la disposition des autres. Son audace tient de sa force de travail (...) Elle a l'art d'être expéditive et efficace. Et, même dans la gentillesse, elle sait rester rigoureuse». Fabien Nkot, autre enseignant de l'Université de Yaoundé II: «Je ne suis pas spécialiste de droit privé et ne pouvait, pour cette raison, apprécier toute la portée de la science de Madame le professeur Nguebou. Mais, dans un environnement universitaire gangrené par la Feymania, elle me rassurait...
Elle avait la sérénité des forces tranquilles. Au delà de nos contacts sur les campus universitaires de Dschang et Yaoundé II, j'ai pu, lors d'échanges plus informels, apprécier sa touchante simplicité, la profondeur de ses jugements. Généralement, les véritables maîtres, en acte ou en puissance, se distinguent par ces qualités... »
Ces propos doivent être pris pour ce qu'ils sont: des éloges funèbres. En règle générale, on ne dit que du bien de ceux qui nous précèdent dans l'au-delà. L'oeuvre d'un intellectuel plaide mieux en sa faveur que ces témoignages. Sans être impressionnante, la production du Pr Nguebou a été abondante. Plus de 20 articles scientifiques publiés dans diverses revues à la renommée établie, y compris Juridis Périodique dont elle était le secrétaire scientifique. Au fil de ses quatre ouvrages, parus entre 1998 et 2002, elle a imposé sa science à tous les étudiants, chercheurs et chefs d'entreprises intéressés par l'Acte uniforme Ohada. Le respect acquis dans sa spécialité, le droit privé, lui a valu estime et considération à l'intérieur du pays, comme au delà des frontières nationales. Au Bénin par exemple, elle était formatrice en droit Ohada à l'Ecole supérieure régionale de la magistrature de Cotonou.
“La mère”
Avant sa nommination au poste de vice doyen, en mars 2002, Josette Nguebou Toukam se plaignait déjà de surcharge de travail. «L'enseignement est trop prenant», se lamentait-elle, media voce. Ce qui ne l'empêcha pas, une fois appelée à des taches administratives, de prendre à bras le corps les plaies accumulées à la facultés des sciences juridiques et politiques. Selon divers témoignages, elle contribue à la quasi éradication des cas d'erreurs sur les copies, de mauvaise tenue des procès-verbaux, de disparition de notes... Cyrille Ekwalla, étudiant en 3è niveau de droit fondamental, lui reconnaît «le toilettage du décanat». A l'unanimité, ses étudiants de maîtrise et de doctorat, aujourd'hui orphelins, évoquent sa disponibilité, son sens de l'écoute, sa rigueur, sa ponctualité. Pour Bruno Tagne, un de ses anciens étudiants, «Elle était toujours disposée à recevoir les étudiants dans son bureau.
Dans les conversations des étudiantes notamment, elle passait pour un modèle (...) Elle nous dispensait le droit commercial . L'amphi 1002 de Ngoa-Ekellé était toujours plein à ses cours. Malgré la foule, le désordre était mesuré grâce à son charisme. Quand bien même il y avait du chahut dans la salle, elle ne plaçait pas un mot plus haut qu'un autre et le calme revenait presque naturellement. Je me souviens que les étudiants, à l'amphi, l'appelaient affectueusement «la mère». En avril dernier, «la mère» poule des étudiants de la faculté des sciences juridiques et politiques confiait à notre consoeur son attachement à son «berceau». Entendez: son cocon familial. Au domicile de la défunte à Yaoundé, Grâce Manuela, son unique enfant, née en 1988, est inconsolable. Le décès de maman, on l'espère, ne perturbera pas ses études à Cotonou, au Bénin. Depuis deux semaines, son mari, Jean Nguebou Moutchehe, n'a plus le coeur à son travail de cadre à la Cnps de Yaoundé. Le couple s'était uni devant Dieu le 29 mars 1980 à la paroisse du Plateau de l'Eglise évangélique de Bafoussam. Ce jour là, son oncle maternel, le chef supérieur de Batoufam, l'éleva au rang de «Mafo», de «Reine-mère». Les reines, comme les rois, ne meurent pas. Elles dorment. Ce samedi 30 avril, une procession d'universitaires, de cop's et de princesses accompagneront Josette Ngeubou Toukam à Bapa, dans le Koung-Khi, pour un sommeil sans fin.
© 2005 Mutations
Article écrit par Arise1Always le Jeudi 28 avril 2005 à 21h58